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digerer.-il y laissera peut etre sa vie, comme les protagonistes du film de Marco Ferreri. Accepter de lirę ces propheties, signifie theoriąuement les lirę d'un bout a 1'autre, puisqu'elles sont certes juxtaposees, mais interdependantes, insignifiantes les unes sans les autres. Or, les lirę toutes en une seule fois est quasiment insupportable, tant elles s^fattaquent a toutes les spheres de notre monde connu -on l'a vu avec les themes: aucun domaine ne leur echappe. Elles nous agressent, car elles sont omnipresentes: elles ne laissent pas un pan de notre reel tranquille. Cest la d'ailleurs leur grandę vertu: si elles dissolvent le reel a 1'acide chlorhydrique evenementiel, elles n'attaquent que lui, et laissent 1’imaginaire en paix. Annie Lebrun, dans Du trop de realite, deplore 1'achamement avec lequel culture et medias substituent a 1'imaginaire, au reve, un reel duplique, redondant (elle parle de pleonasme). Thierry Ehnnann dans ses propheties decape le reel, le broie dans la matrice de l'evenement. A sa faęon, il produit lui aussi un trop de realite, puisqu'il fait du moindre element du reel une petite bombę qui explose ou reste au sol en sifflant. Mais si ces bombes surpeuplent 1’espace du reel, tout comme elles surpeuplent 1'espace du joumal quand l'evenement se produit, elles restent cantonnees a la stratosphere du reel. Nous verrons comment elles nous incitent meme a produire du recit. « Quand les predictions s'effondraient, la prophetie restait le seul espoir » ecrivait Albert Camus dans L^fhomme revolte.

En nous assurant que le tumulte du monde est perenne et se renouvelle d'annee en annee, puisque les propheties ne portent que sur 2009, le narrateur des propheties nous plonge au coeur d'une violence necessaire. La violence necessaire, voire utile comme la qualifie Jean-Franęois Malherbe, dans Yiolence et democratie correspond d'ailleurs etymologiquement a Tacception grecque du mot bia, qui signifie tout a la fois force physique (se perennisant dans le terme latin vis, racine du mot violence) et force vitale. Malherbe donnę ainsi une defmition large du terme violence: « La violence designe pour moi tout acte par lequel un sujet contraint un autre sujet a faire quelque chose que ce demier n’aurait pas fait spontanement⁷⁴ »

Mais pour en revenir a notre acception plus modeme et meme mediatique de la violence en tant que contrainte physique niant 1'humanite de 1'autre (voir la defmition de Blandine Kriegel), il faut se concentrer sur la notion de temoignage. Parce que la domination ou la destruction de 1'humanite chez un individu est une metonymie de 1'humanite toute entiere, toute violence est une formę de crime contrę 1'humanite: ne pas respecter un humain signifie ne pas respecter le genre humain. Ainsi les temoignages de violence devraient nous inspirer non de la peur, mais de la revolte. Evidemment, face a un compte rendu de violence, il est difficile de ne pas se sentir menace, et de ne pas

74 Jean-Franęois Malherbe, Yiolence et democratie, Sherbrooke, CGC, 2003.

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